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29 juillet 2013 1 29 /07 /juillet /2013 15:24
Libération 19/7/2013

portrait

Cette professeure de droit d’Osaka a créé un parti-gag qui moque le machisme vieillissant de la classe politique japonaise.

Par ARNAUD VAULERIN


Photo Makoto Take pour Libération

C’est une femme en tenue léopard qui n’a rien d’une tigresse. A l’heure du «sextrémisme» énervé et dénudé des Femen, Mayumi Taniguchi se découvre en pétroleuse moqueuse d’une classe politique nippone grise et mâle qui renouvelle, ce dimanche, ses sénateurs (lire page 6). Le rire peut être une arme redoutable. Celui de Mayumi Taniguchi est libérateur, frondeur. Il sonne la charge contre une «politique de vieux schnocks, faite par des vieux schnocks, pour des vieux schnocks». La jeune femme, professeure de droit à l’université internationale d’Osaka (Japon), ne s’embarrasse pas d’une langue docte pour décrire le «triste cinéma politique de l’archipel». Ce diagnostic en forme de coup de sang fondateur a présidé à la création, en novembre, de son mouvement, le Parti national des vieilles ménagères (Ajop). La colère est parfois bonne conseillère.

Tout commence le 15 septembre. Trois mois avant les législatives, les partis élisent leurs généraux pour mener la bataille qui consacrera le retour de la droite nationaliste de Shinzo Abe. Ce soir-là, Mayumi Taniguchi est devant sa télévision, en simple mère de famille. «Je ne voyais que des vieux bouffons en costard, tenant des propos ennuyeux et poussiéreux. Pas une seule femme. J’ai eu honte pour mon pays.» Sur le ton de la raillerie, l’impulsive Taniguchi se lâche sur Facebook et propose de «créer le parti des "obachan", des vieilles ménagères pour concurrencer les hommes politiques». Elle est prise au mot. L’idée séduit. Les soutiens suivent. Le parti est créé dans la foulée. L’Ajop, qui n’a de parti que le nom, devient vite un groupe de pression et de discussion présent sur les réseaux sociaux et dans les milieux associatifs. Avec de petits moyens, des comités Ajop fleurissent du nord au sud de l’archipel. Ils raillent la politique familiale «machiste et mensongère» du Premier ministre, Shinzo Abe. Houspillent le centre gauche pour ses mollesses et ses promesses non tenues. Battent le tam-tam après les propos pathétiques du maire d’Osaka défendant la «nécessité des femmes de réconfort» dans les bordels de l’armée impériale durant la Seconde Guerre mondiale. Les obachan se sont trouvé des causes et une appellation péjorative qui fait mouche par son autodérision. Difficilement traduisible, «obachan» évoque à la fois les tantes, les femmes d’âge moyen excentriques ou délaissées, les ménagères pipelettes, les sans-grade. «Toutes celles dont se fout la classe politique», résume Mayumi Taniguchi. Elle se refuse à être candidate pour conserver sa «liberté de parole et d’action», mais soutiendra celles qui voudront se lancer dans l’aventure.

En politologue averti, Koichi Nakano salue «l’audace de Taniguchi et la nouveauté» de ce petit mouvement qui revendique 6 000 militantes sympathisantes. «Cette initiative est intéressante car elle renouvelle la tradition du féminisme souvent perçu au Japon comme un mouvement radical contrôlé par des femmes en colère. Par sa drôlerie, le terme obachan casse cette image.» Mayumi Taniguchi tient «beaucoup à ce terme, à l’opposé de la culture des lolitas et des femmes objets, silencieuses et soumises, si forte au Japon». A 38 ans, la dirigeante de l’Ajop s’affiche en détendue à la langue bien pendue. C’est une latine en legging blanc et large tunique que l’on rencontre à l’université d’Osaka. Longs cheveux de jais sur un visage rond et rieur, elle arbore tout un attirail d’étuis, de tablettes et sacs léopard qui emprunte au bling-bling et au kitsch à paillettes. «Elle s’est toujours maquillée et habillée ainsi. C’est une instinctive qui n’hésite jamais à dire ce qu’elle pense et blague sans cesse,témoigne une amie, discrète Tokyoïte. Mayumi incarne cette culture populaire d’Osaka, une ville ouverte et commerçante, beaucoup plus exubérante que Tokyo.»

Mayumi Taniguchi revendique le plaisir, le rire et le besoin de séduire. En vidéo, en photo, on la voit trinquant, dînant, entourée d’amies et de militantes. Au risque de se faire «engueuler par les féministes classiques», elle regrette leur «fermeture». «Trop souvent radicales, élitistes, trop à gauche, brandissant beaucoup d’interdits, elles se sont coupées des employées, des agricultrices, des ouvrières et des femmes au foyer.» Pas politicienne, ni grande théoricienne, la Latine d’Osaka exhume de son panthéon deux figures tutélaires et consensuelles : l’Austro-Américaine Beate Sirota, auteure à 22 ans des articles sur les droits des femmes dans la Constitution japonaise, et la Japonaise Fusae Ichikawa, à l’origine du droit de vote des femmes en 1946.

Mayumi Taniguchi n’est pas née féministe, elle l’est devenue à l’université. Jusque-là, elle vivait «sans problème, entourée d’hommes» à Osaka. Son père était joueur de rugby. Sa mère assurait l’intendance de la famille et de l’équipe au stade Hanazono. Dix ans durant entre les gradins, le gazon et le logement de fonction, Mayumi vit entre ses parents, son grand frère et une trentaine de joueurs qui apprécient une gamine au caractère bien affirmé. La parenthèse heureuse se referme sur les bancs de la fac. La jeune Taniguchi se porte candidate pour devenir représentante des étudiants. Refus ferme. «Je découvre alors la réalité d’une société machiste, figée, avec des hommes orgueilleux et méprisants.» La coutume, non écrite, voulait qu’au grand jamais une femme ne devienne déléguée des étudiants. Aujourd’hui encore, l’humiliation ressentie chasse le rire. L’étudiante encaisse, bûche le droit international, se promet d’enseigner le droit des femmes, enchaîne les petits boulots, puis se défoule en pratiquant la natation et l’aérobic.

Elle quitte l’université en féministe pressée chez qui la passion la dispute à la raison. «Après un coup de foudre qui n’a rien de féministe», elle épouse son mari quelques semaines après leur rencontre. Avant de se rendre compte que sa «belle-famille est très conservatrice, très pro-Shinzo Abe». Ils n’ont pas beaucoup de contact. Heureusement. Lors de conférences et de réunions qu’elle enchaîne sans souffler depuis dix mois quand elle n’enseigne pas, Mayumi Taniguchi accable le Premier ministre du Japon qui veut modifier la Constitution pacifiste. Elle rappelle que le pays est classé en 101e position sur 135 dans le classement des inégalités hommes - femmes établi par le Forum économique mondial. Avant de vanter le manifeste (antiguerre, antinucléaire, antigaspi, antichômage) aussi simpliste qu’explicite de l’Ajop.

Dans le peu de temps qu’il lui reste, Mayumi Taniguchi s’occupe seule de son fils de 7 ans et de sa fille de 5 ans en «mère ordinaire». Son mari, publicitaire en mission en Inde, n’est pas au courant de ses activités. Mayumi Taniguchi ne lui en pas soufflé mot. Pour «être plus libre», elle a choisi cette fois de se taire.

Photo Makoto Take

En 6 dates

6 mars 1975 Naissance à Osaka (Japon).

1981-1991 Vit dans un stade de rugby.

1993 Entre à l’université d’Osaka.

2006 et 2008 Naissances de ses enfants.

23 novembre 2012 Création du Parti national des vieilles ménagères, l’Ajop.

21 juillet Elections sénatoriales au Japon.

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